Le petit homme et le vieux sage

Il était une fois un petit homme sans histoire, fondu dans le commun de l’Homme. Travailleur et attentionné, il excellait dans les tâches particulières que lui imposait son existence…
Un maillon d’une chaîne parmis tant d’autres, dans un monde aux rouages aussi clairs que insensés.

Ce petit homme était bon, et croyait au spirituel. Il croyait aux dieux parce qu’on croyait aux dieux, sans autre raisonnement que celui-ci.

Mais pour tout homme arrive un jour où, dans un moment de doute et de lassitude, de grandes questions se posent. Pourquoi ? Comment ? Dans quel but ?
Il se posait des questions sur le sens de sa propre vie… « Si les dieux m’ont fait, il doit y avoir un raison » se disait-il. Cela l’accablait durement et l’empêchait d’avancer…

Alors il se rendit au temple, et s’agenouilla devant l’autel, implorant ses dieux de lui venir en aide, de lui éclairer le chemin vers la compréhension des choses.

Il pria tant et si fort, qu’alors apparut un vieil homme devant lui, tenant une canne, illustration même du fragile équilibre à l’orée de la mort, celle d’un vieil homme comme lui. Il avait tout l’air d’un sage, ayant vécu tout ce qu’il était possible de vivre dans le monde.

« Tu as des question petit homme… Pose-les moi et je t’éclairerai » lui dit le vieux sage.

Enchanté mais toujours aussi perdu, le petit homme lui répondit d’une voix incertaine :

« Je ne sais pas quel est le sens de ma vie, ce pourquoi je suis fait… ma question est la question de la vie, et de son but… »

Alors le vieux sage le dévisagea.

« C’est le propre de l’Homme que de se poser ces questions, et à ceux qui entrevoient les réponses, d’y répondre.
Mais es-tu vraiment sûr de vouloir connaître le vrai sens de l’existence ? » lui demanda-t-il.

Le petit homme hocha vivement la tête, comme s’il attendait la délivrance des paroles du vieux sage.

« Alors voici la vérité de toutes les vérités. La vie n’a aucun sens, aucun but, aucune raison. L’existence n’a d’enjeu que son existence… » déclara le vieil homme.

Troublé par une telle révélation, le petit homme sembla ne pas comprendre. Le vieux sage continua alors :

« On t’a enseigné que l’homme est issu du divin, que les dieux guident nos pas grâce au destin… Tu crois au destin n’est-ce-pas ? » lui demanda-t-il.

« Oui… » répondit le petit homme d’un air qui se voulait ferme, mais qui trahissait de son appréhension.

« Alors si tu y crois, c’est que tu te mens à toi-même mon jeune ami. Regarde-moi… ai-je quelque chose de divin ? Mon corps n’est qu’un amoncellement de molécules, qui finissent un jour par ne plus vouloir former un tout. Et bientôt je disparaîtrai…

Si je bouge mon bras, toi tu y vois un choix, moi j’y vois la transmission d’une impulsion électrique de mon cerveau vers mes nerfs et mes muscles…

Le choix lui-même n’est qu’un mouvement de matière dans notre tête, des synapses qui se connectent et se déconnectent.

Voilà la vérité, je te le dis…. »

Le petit homme sembla alors effrayé.

« Ce n’est pas vrai, le corps de l’homme a été fait par les dieux, et construit à leur image ! » s’exclama-t-il.

Le vieux sage sourit et posa sa main sur l’épaule du jeune homme.

« Si les dieux nous ont fait à leur image, alors il te faut savoir que nous ne sommes pas venus comme nous sommes. Au début nous n’étions que des cellules, qui ont évolué, passant de l’animal à l’homme par la voix de la sélection naturelle…

Si l’homme était une cellule, alors les dieux qui nous ont crée à leur image étaient eux aussi des cellules… Cela n’a aucun sens spirituel, il te faut te confronter à la dure réalité que nous ne sommes que le fruit du hasard et de l’évolution mon jeune ami… »

Fou de rage ou de désespoir, le petit homme sembla s’affaisser sur lui-même.

« L’homme a une âme, il n’est pas ce que vous dites. Lorsque l’on meurt, notre âme s’en va rejoindre les autres dans le Monde des Esprits… » affirma-t-il.

Le vieux sage lui répondit sans peine :

« L’âme est la réponse de l’homme à la peur de la mort.
Je te le dis, la mort n’est que le néant, l’arrêt complet de la machine-homme.
Et ce qui pourrait te faire réfléchir un peu plus, c’est de te poser la question qui est la suivante :
Sachant qu’à la fin, tu t’éteins, et que ton cerveau qui est le siége de ta mémoire s’éteint lui aussi, alors ta mémoire n’est plus…
Donc ce qui fait que tu as conscience de ton existence, minute après minute, seconde après seconde, n’est plus non plus. Les seules choses qui attestent de ton existence sont ta mémoire ou celle de tes pairs. Quand ils disparaissent, c’est comme si tu n’avais jamais existé…

N’y voit pas une malédiction, voit-y juste la triste vérité de ton existence, sans foi ni but… »

Le petit homme, dans son désespoir, avait été touché par le discours. Cela semblait à la fois implacable et absurde, mais tellement plausible… tellement possible…

Il rentra alors chez lui, vidé de tout espoir. Il n’osait plus faire de choix, tant il craignait que ce que le vieil homme disait soit vrai, que ce ne soit que de la mécanique, rien d’autre…

Triste et abattu, il se laissa lentement mourir, seul dans sa maison…

Et ce qu’il n’attendait pas se produisit. Il ne disparut pas, mais s’éleva au dessus de son corps, au dessus de tout.

Il flottait dans l’air, tel un fantôme, scrutant les vestiges de sa vie… Et l’éclair de la compréhension le frappa alors implacablement.

Le vieux sage n’avait été que le reflet de ses peurs, un raccourci facile vers une vérité simple. De désespoir, il avait matérialisé tout ce discours, toute ces idées, parce que malgré tout, il ne trouvait pas de sens à sa vie, et qu’alors il pensait que de telles pensées le sauveraient.

Mais à présent il se rendait compte qu’il avait eu tord, et que tout cela l’avait tué. Il ne se rendait compte que maintenant que la vie n’avait pas besoin de but, qu’il aurait fallut qu’il vive simplement, et profite de l’opportunité que cela représentait…

Il aurait dû avoir confiance, non pas en ses dieux, qui semblaient bien réels à cet instant, mais en lui-même, simplement.

Méditant sur ces pensées, et regrettant d’avoir cédé à ses démons, le petit homme s’envola, et rejoignit le Monde des Esprits, parmis les milliers d’autres qui eux aussi, n’avaient pas compris la vérité de l’existence telle qu’il la voyait à présent…

La morale de cette histoire est ce que vous en retirerez, quoi que ce fut.