Genèse d’une nouvelle vie

Titre: Genèse d’une nouvelle vie

LA JEUNE FILLE …

Un terrible hurlement résonne dans le village désert et sombre. Si seulement vous pouviez l’entendre, ce cri, votre sang se glacerait immédiatement dans vos veines.

Il résonne au milieu des ruines fraîches, au milieu des granges en feu, au milieu des cendres encore chaudes et fumantes, seuls restes des habitations encore présentes quelques heures auparavant; il résonne aussi au milieu de cette odeur âcre, cette odeur de sang et de chairs brûlées qui règne à présent à la place de l'odeur parfumée du foin et des fleurs sauvages.

Peut-être… peut-être que si elle ferme les yeux, ces jolis yeux verts qui faisaient la fierté de ses parents, ces yeux couleur émeraude qui faisaient paraître n’importe quelle pierre précieuse pâle et totalement dénuée d’attrait pour le plus avide et le plus passionné des joailliers, elle arrivera à revoir les fleurs qui ornaient le jardin et à sentir leur parfum si doux et délicat.

Peut-être que si elle se concentre suffisamment fort, elle se retrouvera dans ce pré où elle avait l'habitude de chanter et de danser pendant des heures, accompagnée des autres enfants du village, garçons et filles friands de rondes, de comptines et de jeux plus joyeux et festifs les uns que les autres.

Peut-être même que si elle se met a chantonner tout doucement ses mélodies favorites, en repensant très fort à tous les instants de bonheur qu’elle a vécus, alors ce cauchemar prendra fin et elle se réveillera au milieu des coquelicots qu'elle affectionne tant.

Mais une main sale et puante vient se poser violemment sur sa petite bouche rose pour la faire taire, pendant que l'autre main de cet homme répugnant commence à lui arracher ses vêtements. Alors elle comprend… elle sait que c'est fini, et ses larmes ne cessent de couler sur ses joues, nettoyant au passage la crasse déposée sur son beau visage enfantin par ce porc.
Elle rouvre les yeux une dernière fois, à la recherche d'un miracle, d'un prince charmant dont elle a si souvent lu les exploits dans ses comptes pour enfants, venu la délivrer de son misérable donjon, l’arracher des mains de ce monstre inconnu, elle, plutôt qu’une quelconque princesse imaginaire dont le seul malheur est d’avoir une marraine narcissique. Mais elle ne voit que les yeux révulsés et sanglants de son père, mort dans d’horribles souffrances, mutilé par ses bourreaux pour avoir tenté de protéger sa famille. Ces mêmes bourreaux qui s'en prennent maintenant à elle… Pourquoi ?

Elle tente de crier dans un dernier sanglot, mais plus aucun son ne sort de sa pauvre gorge qui a déjà tant hurlé sa peur et son désespoir.
Alors le vertige la saisit… elle est sur le point de sombrer lorsque des coups de feu retentissent, la sortant de sa torpeur naissante.
Comme une conséquence de tout ce vacarme surnaturel au milieu du silence pesant et malsain de la mort, la masse puante et nauséabonde qu'est son agresseur s'effondre, lourd et inerte, sur son petit corps fragile. Elle ne peut plus bouger, elle peut a peine respirer…

On lui parle, un homme… il est là, à côté d'elle. Il repousse vivement la masse morte effondrée sur elle, l'enveloppe dans une couverture, la prend dans ses bras et l'emporte loin… loin de ce cauchemar, loin de cette pourriture abjecte, loin de chez elle.


... ET LA GUERRIERE


Un éclair…

Le sifflement d'une lame bien aiguisée fendant l'air.

De très longs cheveux couleur coquelicot virevoltant dans la douce brise au gré des ondulations gracieuses de cette jeune femme, maniant l'épée à merveille, lui imposant des mouvements d'une légèreté et d'une
précision exemplaires.

Son regard est déterminé, sa concentration extrême, ses gestes une chorégraphie unique créant une harmonie impossible entre son corps chaleureux, la nature irrémédiablement sauvage, et l’acier froid et hautain de la lame qui prolonge son bras.

Un homme se tient a proximité… il est là, souriant à côté d'elle, et n’a de cesse d’admirer la belle jeune femme qu'elle est devenue.
Belle, fière et forte.

Elle finit son exercice sans se laisser perturber le moins du monde, pas même par cet écureuil farceur qui vient souvent faire la ronde lorsqu'elle est dans le jardin, comme pour tester son degré de concentration. Parfois, il lui arrive de le suivre du coin de l’œil tout en continuant son enchaînement, puis, d’un bond prodigieux, se jette sur l’animal de toutes ses forces et de toute sa vitesse en poussant un effroyable cri de guerre. Ce petit jeu a pour résultat de pétrifier l’animal pendant quelques secondes, secondes précieuses de bonheur quelque peu sadique pendant lesquelles la jeune fille ne peut s’empêcher de rire aux larmes. Une fois la surprise passée, la pauvre bête se sauve en couinant et en se retournant régulièrement, comme pour exprimer publiquement son mécontentement et ses promesses de vengeance machiavéliques, ce qui ne fait que renforcer l’hilarité de son adversaire.

Aujourd’hui, elle se contente de poser son épée, et court se jeter dans les bras de l'homme, ce père, celui qui l'a sauvée et élevée depuis ses 14 ans, depuis ce jour ou elle a tout perdu, ou presque.

Est-elle avide de vengeance? Non…

A t’elle peur? Non…

Son sourire est celui d'une jeune femme épanouie, mais elle a fait un serment: celui de toujours faire tout son possible pour protéger ceux qu'elle aime. Et pour les protéger, elle ira jusqu'à donner sa vie sans hésitation. Mais lorsque ce jour viendra, elle sera prête, et sans pitié pour ses ennemis.

CE QUI NE NOUS TUE PAS, REND PLUS FORT

Il n’est pas étonnant que ses parents adoptifs aient réussi à parvenir à un tel résultat avec elle. Ils n’ont été avares ni d’amour et de caresses, ni de bon sens et de fermeté. Ils ont su lui apporter l’équilibre dont elle manquait cruellement après l’extermination de son village.

Reprenons là où nous l’avons laissée il y a quelques années… Celui qui est devenu son père adoptif l’a emportée dans ses bras, tremblante, terrifiée, mais consciente au fond d’elle-même qu’elle lui serait sans doute redevable à vie pour ce qu’il venait de faire. Mais s’il a fait beaucoup pour elle, sa « guérison » tient aussi du fait de son caractère particulièrement fort et de ce qu’elle accordait déjà une importance exceptionnelle à la vie.

Il la ramena donc chez lui et la confia à sa femme, une femme douce et intelligente, qui passa des jours et des jours à bercer la jeune fille, sans jamais faillir, sans jamais désespérer, et donc sans jamais lui laisser croire ne serait-ce un seul instant qu’on pourrait un jour l’abandonner. A force de câlins et d’attentions, la jeune fille, restée jusque-là prostrée et sans voix, recommença à s’ouvrir aux autres et à la vie. Alors elle pleura, exorcisant du même coup toute la douleur et la peine qu’elle avait pu accumuler et enfouir au fond de son cœur ; elle pleura tant et si bien, dans les bras de sa nouvelle mère, qu’elle finit par ne plus avoir de larmes à pleurer. Alors elle se décida à parler à cette mère, qui devint aussi une confidente, une amie et la personne qu’elle aimerait le plus au monde. Cette mère lui apprit à ne jamais retenir ses larmes dans les moments difficiles, à ne jamais garder secret ou enfermé ce qui lui faisait de la peine, l’aidant ainsi à se remettre peu à peu de ses blessures et à les refermer autant qu’il était possible de le faire.

Son père adoptif, si j’ai oublié de le préciser, était officier dans l’armée. C’était un savant mélange de sagesse, de fermeté et de bonté. Dès le premier jour, elle développa un fort sentiment d’admiration à son égard, lequel se développa de jour en jour, à mesure qu’elle réalisait à quel point il pouvait être fort et aimant avec sa famille tout en gardant sa poigne de fer qui faisait de lui un grand chef. Il devint un modèle pour elle qui s’était finalement juré de devenir aussi forte que lui, et aussi dévouée à sa famille et aux personnes dans le besoin qu’il pouvait l’être.

Au fil des jours, forte de cet amour et de cette éducation qu’elle recevait de l’un et l’autre de ses parents, elle se transforma peu à peu en un étrange mais néanmoins intéressant mélange de force et de sensibilité à fleur de peau, faisant d’elle une personne pleine de contradictions. Sa sensibilité émergeait facilement dans ses relations avec les autres. Ayant grandi au rythme des contes de fées – qu’elle affectionnait plus que ce qu’elle aurait dû à son âge, sans doute à cause des violents évènements dont elle fut victime – elle était souvent plongée dans une sorte de rêverie et de vision idyllique de la vie, la faisant s’attacher particulièrement vite aux personnes qu’elle rencontrait.

Mais si par malheur il arrivait qu’elle soit déçue ou trompée, alors elle se refermait sur elle-même, comme s’enveloppant d’une carapace protectrice et imperméable aux sentiments, lui permettant de prendre du recul et d’appréhender la situation avec beaucoup plus de discernement. Dans ces moments-là, c’était comme si elle revêtait le manteau d’officier de son père. Elle était capable de gérer n’importe qu’elle situation difficile, simplement en mettant ses sentiments de côté, parfois en étant dure avec ses proches, mais toujours en étant juste, et surtout en s’évitant trop de souffrances personnelles.

Certains appellerons cela de la schizophrénie, d’autres apprécieront simplement l’équilibre qu’elle a su développer, lui permettant d’être à la fois la belle jeune femme heureuse et épanouie que l’on vient de découvrir et le soldat qu’elle est sur le point de devenir, suivant ainsi les traces de son idole, de son modèle : son père.

Elle aurait dû mourir le jour où il l’a sauvée, mais la providence en a décidé autrement. Plus que jamais, elle est consciente de cela, et si elle fait preuve d’autant de force et de détermination, c’est aussi pour ne pas décevoir cette providence, et pour accomplir ce pourquoi elle est toujours en vie. Car si elle n’avait pas vécu ces horreurs, aujourd’hui elle ne serait peut-être qu’une pauvre paysanne ignorante du monde et de ses richesses, et incapable de venir en aide à qui que ce soit.

Aujourd’hui, avide de découverte, consciente qu’elle peut se rendre utile à son Empire et à ses citoyens, désireuse de vouer sa vie à défendre la veuve et l’orphelin - en l’honneur des actions passées de son père - elle a décidé de rejoindre l’armée à son tour.

Et la seule excentricité qu’elle s’est autorisée malgré la discipline exigée par la carrière qu’elle souhaite embrasser, c’est cette couleur coquelicot qu’elle a voulu donner à ses cheveux, ces coquelicots au milieu desquels elle aimait tant danser.